No Country for old men
Jeudi 23 février 2008 cinéma LE FOGATA
Date de sortie : 23 Janvier 2008
Réalisé par Joel Coen, Ethan Coen
Avec : Tommy Lee Jones, Javier Bardem, Josh Brolin
Film : américain.
Genre : Thriller, Drame
Durée : 2h 2min.
Année de production : 2007
Interdit aux moins de 12 ans
Titre original : No Country For Old Men
Distribué par : Paramount Pictures France
Synopsis :
A la frontière qui sépare le Texas du Mexique, les trafiquants de drogue ont depuis longtemps remplacé les voleurs de bétail. Lorsque Llewelyn Moss tombe sur une camionnette abandonnée, cernée de cadavres ensanglantés, il ne sait rien de ce qui a conduit à ce drame. Et quand il prend les deux millions de dollars qu'il découvre à l'intérieur du véhicule, il n'a pas la moindre idée de ce que cela va provoquer...
Moss a déclenché une réaction en chaîne d'une violence inouïe que le shérif Bell, un homme vieillissant et sans illusions, ne parviendra pas à contenir...
Télérama, Samedi 26 janvier 2008.
Ciel et désert immenses, le paysage crève l'écran. Revitaliser un mythe aussi éculé que l'Ouest américain exige néanmoins de ne pas être un bleu. Les frères Coen, assurément, n'en sont pas : ils savent que la pérennité d'un mythe passe d'abord par une bonne autopsie. D'emblée donc, les cadavres pleuvent. Le premier est celui d'un jeune shérif, étranglé sauvagement par un type bizarre au regard de fou, qui trimballe une lourde bouteille (d'oxygène ?). Puis c'est un carnage au milieu de nulle part : plusieurs pick-up criblés de balles autour desquels gisent une demi-douzaine de corps, bilan sanglant d'un gros deal de came qui a mal tourné. Un vieux briscard nous avait déjà prévenus en voix off du caractère violent de la région. Une voix traînante et rocailleuse, chargée d'histoire, celle de Tommy Lee Jones, dans le rôle d'un shérif devenu avec l'âge moins acteur de sa vie que conteur. A travers lui, le film se penche vers le passé, retourne aux origines.
Pour les frères Coen, il s'agit également d'un retour. Au Texas d'abord, sur ce territoire sec, rude et infertile qu'ils avaient filmé il y a plus de vingt ans dans leur brillant coup d'essai, Blood Simple. Les Coen signent surtout, après une série de films mineurs, leur retour en grande forme dans un genre de film noir bien à eux, cocktail improbable d'angoisse, d'humour absurde et de contemplation, qui a fait le sel de Fargo et de The Barber. Ils adaptent ici avec réussite le livre de CormacMcCarthy (grand obsédé de l'Ouest américain), au titre laborieusement traduit sur l'affiche par Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme...
Quitte à prendre des libertés, « Le Vieux, le Tocard et le Méchant » aurait mieux convenu. Le tocard, c'est Llewelyn (Josh Brolin), pour une fois chanceux puisqu'il met la main sur une mallette de cuir contenant plus de 2 millions de dollars. Pas un mauvais bougre, ce Llewelyn, juste un misfit sans le sou, un vétéran du Vietnam qui loge dans une caravane pourrie avec sa chérie. En raflant le magot, il a conscience qu'il risque gros et qu'il n'a peut-être pas l'étoffe pour ça. Un beau personnage, typique des Coen : le loser qui tente de s'arracher à sa triste condition, un vaurien qui essaie aussi de se racheter.
Ce cow-boy nonchalant a peut-être pensé à tout mais pas au pire : un psychopathe, au nom étrange d'Anton Chigurh, lancé à ses trousses. Le zombie à la bouteille métallique, c'est lui. Un démon baroque, aussi excentrique qu'exterminateur, qui se déplace toujours avec son engin sans doute destiné à abattre les bovins. Lui, en picador dément, l'emploie sur les humains. La première fois, le geste surprend tellement qu'on en rit, nerveusement. Chez les Coen, la terreur va de pair avec le grotesque et le cartoon n'est jamais loin. Cet Anton Chigurh est comme un corps étranger inoculé dans l'univers du polar et du western. Il fallait un acteur venu d'ailleurs pour l'incarner et le choix de Javier Bardem s'avère très payant : c'est comme si toute l'Espagne fantasque et funèbre débarquait sans prévenir en plein Far West. Cet ange perruqué de l'apocalypse capable de deviser du destin avec ceux qu'il bute, de jouer leur vie à pile ou face, rend la course-poursuite littéralement infernale.
La terreur monte crescendo, à mesure que l'énergumène se rapproche de Llewelyn. Les frères Coen mixent subtilement vitesse et attente. Leur chasse à l'homme nous mène de motel en motel, jusqu'au Mexique. Cette frontière, c'est aussi bien sûr celle qui sépare le bien et le mal, le hasard et le destin. Elle est parfois difficile à distinguer, y compris pour isoler les vivants des fantômes. D'où une inquiétude irrépressible, surtout face à Chigurh : il n'a rien d'humain mais possède malgré tout un corps. Il pisse le sang après avoir reçu une balle qu'il extrait lui-même dans une scène très éprouvante. Increvable, tel le diable incarné.
Entre un boeuf et un homme, l'issue du combat n'est pas si sûre, balance un moment le shérif, qui fait volontiers rimer philosophie avec plaisanterie. Mais plus l'enquête avance, moins ce nostalgique de valeurs qui n'ont plus cours comprend le déchaînement de violence auquel il assiste. Vers la fin, le film ralentit, gagné par une lenteur mélancolique, une méditation qui n'a plus rien de sarcastique. On voit alors se dessiner le portrait d'un homme qui ne reconnaît plus son pays, ni son père. Un homme poursuivi lui aussi, hanté par la perte.
Jacques Morice